Les yeux: le miroir du corps – informations pour les personnes concernées

Que voyez-vous lorsque vous regardez quelqu’un au fond des yeux?

Naturellement bien plus que nous ophtalmologues, car vous ne faites cela qu’avec vos êtres les plus chers. Dans ces moments-là, vous ne pensez pas, espérons-le, à des signes de maladie.

Toutefois, vous pouvez parfois remarquer une chose: dès la cinquantaine apparaît parfois un anneau blanchâtre autour de la pupille qui est souvent la conséquence d’un taux nettement élevé de lipides sanguins, qui s’accompagne d’un risque d’artériosclérose et ainsi d’accident vasculaire cérébral, infarctus myocardique et autres occlusions vasculaires. Une analyse sanguine devrait donc être réalisée en présence d’un anneau de ce type. A un âge avancé, ce constat est en revanche normal et appelé en français gérontoxon ou arc sénile.

Figures 1*: arcus senilis, gérontoxon ou arc sénile
Figures 1*: arcus senilis, gérontoxon ou arc sénile

On observe parfois à l’œil nu que les pupilles des deux yeux ne sont pas de la même taille. Les nerfs qui régulent la taille des pupilles suivent un trajet complexe, non seulement à travers le cerveau, mais aussi dans le cou. Par conséquent, diverses causes peuvent se dissimuler derrière des pupilles de tailles différentes, d’un trouble anodin congénital ou acquis à la naissance à des états potentiellement mortels tels qu’une dilatation des vaisseaux cérébraux (anévrisme) ou une rupture de la carotide (dissection carotidienne) ainsi que, chez les nouveau-nés, une tumeur maligne (neuroblastome). Si une telle différence apparaît pour la première fois, une consultation médicale est impérativement recommandée. En revanche, si votre interlocuteur vous affirme avoir toujours ou depuis longtemps été ainsi, en effet dans un petit pourcentage de cas environ 15%) cela est considéré comme anodin.

Nous connaissons tous les rougeurs oculaires comme la conséquence de conjonctivites inoffensives qui peuvent être d’origine allergique comme en cas de rhume des foins, mais aussi infectieuse, causée par divers agents pathogènes. Un système immunitaire sain éradique de lui-même la plupart d’entre eux. Les chlamydies, mieux connues en tant que responsables de maladies sexuellement transmissibles, font exception. Si d’autres symptômes viennent s’ajouter à la rougeur, notamment des douleurs, une détérioration de la vision ou une sensibilité accrue à la lumière, la conjonctive n’est pas la seule touchée, mais aussi d’autres structures telles que la cornée ou le segment antérieur soit la partie interne antérieure de l’œil. On parle alors d’une uvéite antérieure. En présence de tels symptômes, vous devez consulter votre ophtalmologue. Les lentilles de contact constituent le principal facteur de risque de conjonctivites.  Les causes exogènes d’une inflammation intra oculaire comment une uvéite sont plutôt rares. Il faut dans ces cas évoquer une maladie sousjacente rhumatismale ou encore d’une infection qui touche tout l’organisme, de la borréliose à la syphilis, en passant par l’herpès. Ne vous étonnez donc pas des questions indiscrètes que vous pose l’ophtalmologue. Et ne vous étonnez pas non plus si la raison de votre rougeur oculaire est tout autre – cette liste n’est pas exhaustive.

Lorsqu’un individu développe des yeux de plus en plus «globuleux» ou un regard anormalement fixe avec des yeux écarquillés, de sorte que  la partie blanche de la paroi de l’oeil situé entre la pupille et la paupière supérieure est constamment visible, cela peut indiquer une maladie thyroïdienne.

Parfois l’anomalie est mise en évidence lors de la prise d’une photographie, lorsque le reflet de la pupille d’un enfant sur une photo est blanc et non pas rouge, cela peut indiquer une tumeur du fond de l’œil, appelée rétinoblastome. Dans ce cas aussi, consultez immédiatement l’ophtalmologue.

Votre ophtalmologue peut examiner plus en détail la surface de l’œil au microscope et détecter ainsi les moindres opacités cornéennes qui peuvent survenir dans le cadre de maladies métaboliques rares, par exemple une accumulation de cuivre, qualifiée dans le jargon médical d’anneau de Kayser-Fleischer. Une loupe permet également d’examiner le fond de l’œil à travers l’intérieur transparent. Il s’agit de la seule partie du corps où les vaisseaux sanguins sont directement visibles. Il est alors possible de distinguer les artères, qui conduisent le sang riche en oxygène vers les tissus, des veines, qui ramènent le sang vers le cœur et les poumons à une moindre pression après distribution de l’oxygène. Le même examen permet aussi de visualiser le nerf optique.

Figure 2*: Structure de l’œil avec vaisseaux cornéens
Figure 2*: Structure de l’œil avec vaisseaux cornéens

En présence d’une vasculopathie, des modifications typiques des vaisseaux peuvent être visibles. Par exemple, un rétrécissement des artères indique une hypertension non traitée. Si la pression artérielle est nettement trop élevée, d’autres signes peuvent venir s’ajouter, tels que des hémorragies au niveau de la rétine. A ce stade, certaines personnes décrivent une détérioration de la vision. En général, cela se rétablit lorsque la pression artérielle est abaissée. Toutefois, si un vaisseau se ferme complètement, un déficit permanent peut persister. Celui-ci est d’autant plus gênant qu’il se rapproche de la zone de vision la plus nette, au centre de la rétine. Il s’agit de la macula lutea ou tache jaune. 
Les diabétiques peuvent également subir des dommages vasculaires avec le temps. Au stade précoce, ceux-ci n’entraînent pas de symptômes. En l’absence de traitement, ils peuvent aussi provoquer des hémorragies ainsi que, plus tard, de graves complications telles qu’un décollement de rétine. Autrefois, le diabète était l’une des causes les plus fréquentes de handicap visuel avant l’âge de la retraite dans les pays industrialisés. Il existe aujourd’hui de meilleures options pour faire baisser la glycémie. C’est pourquoi de telles modifications surviennent rarement. Par ailleurs, elles sont généralement bien traitables – à condition qu’elles soient décelées assez tôt. Les diabétiques doivent donc faire examiner leurs yeux régulièrement, même s’ils ou elles ne remarquent pour l’instant aucun problème.

Les vasculopathies peuvent s’exprimer au niveau oculaire même lorsque le trouble réel se situe en dehors de l’œil, par exemple dans les carotides. En présence d’une artériosclérose prononcée à cet endroit, des fragments de plaque peuvent se détacher et être emportés dans les petits vaisseaux oculaires, où ils restent coincés et peuvent obstruer un vaisseau de manière temporaire voire permanente. Une telle occlusion artérielle au fond de l’œil se manifeste par un rideau noir dense et plat ou un mur noir. Le trouble peut toucher l’ensemble du champ visuel ou seulement une partie de celui-ci, par exemple la moitié supérieure ou inférieure. De tels symptômes doivent impérativement faire l’objet d’un examen: même s’ils disparaissent d’eux-mêmes, il peut s’agir de signes avant-coureurs d’accident vasculaires cérébraux.

Lorsqu’une veine, et non pas une artère, s’obstrue, des causes similaires à celles d’autres thromboses veineuses sont envisagées, notamment des troubles de la coagulation. Au niveau de l’œil, les occlusions veineuses peuvent paradoxalement être aussi la conséquence d’une artériosclérose: elles surviennent généralement exactement là où une veine croise une artère. La paroi de la veine est plus fine et plus souple que celle de l’artère, de sorte qu’une paroi artérielle sclérosée, donc durcie et épaissie, peut entraver la circulation sanguine dans la veine.

Le gonflement du nerf optique peut, quant à lui, avoir plusieurs raisons. Dans ce cas également, il existe des variantes congénitales normales, mais aussi des œdèmes dus à une pression accrue à l’intérieur du crâne, comme cela peut se produire en présence de tumeurs ou hémorragies cérébrales. De même, des inflammations peuvent faire gonfler les nerfs optiques. Elles se manifestent soit de manière isolée, soit dans le cadre de maladies qui touchent aussi d’autres nerfs, par exemple la sclérose en plaques. Avec cette maladie, le gonflement survient toutefois plus typiquement si loin derrière le globe oculaire que la partie visible de l’œil apparaît normale. Dans de tels cas, une simple lampe de poche permet néanmoins déjà de montrer que le nerf optique présente un problème, à savoir au vu d’une réaction de la pupille moins rapide d’un côté, appelée en jargon médical RAPD ou déficit pupillaire afférent relatif.

D’autres structures du fond de l’œil peuvent présenter une inflammation. Les causes sont toutes relativement rares. Il s’agit la plupart du temps d’infections. Heureusement, le tableau complet du SIDA est devenu très rare dans notre pays. Mais les agents pathogènes mentionnés responsables de l’herpès et la syphilis peuvent toucher toutes les couches oculaires. En outre, les infections auxquelles l’enfant à naître est exposé dans le ventre de la mère peuvent se manifester au niveau des yeux, comme pour la toxoplasmose.

Il existe encore de nombreux autres exemples. Même sans entrer dans les détails, vous le voyez déjà: les yeux sont certes des organes de petite taille, mais ils sont reliés de maintes façons à tout l’organisme humain et sont véritablement le miroir du corps. A l’inverse, les poètes ont toujours su qu’ils ouvraient l’une des principales fenêtres sur le monde. Dans le lyrisme allemand, le «Chant du soir» de Gottfried Keller ou encore le «Chant de Lyncée» de Goethe en sont de beaux exemples.


IMPRESSUM
Edition: Société Suisse d’Ophtalmologie SSO
Rédaction: Commission de communication de la SSO 
Auteure: Dr Anna Fierz, Zurich
Figures*: Licences par shutterstock n° 243302320; 1059887048 (fig1) et istock n° 695204442 (fig2).

Publication: Octobre 2022